Le Four à bois du Labouret

Une aventure collective. Nous avions déjà construit un four à bois chez Mich, à Saint-Genest-Malifaux, en 1986. Il s’ouvrait comme une gueule de crocodile. Après les quelques aléas du début, il a fonctionné quelques années puis s’est assoupi au milieu des herbes folles. Il y a une petite quinzaine d’année, le feu qui couvait sous la cendre s’est rallumé. j’ai remis le sujet sur le table. Nous étions un bon groupe autour de Mich. Le projet a germé. Nous étions prêts à reconstruire un four à bois. La décision fut prise de constituer une association loi 1901: Le Four à bois du Labouret était né.



On est à 1000 m d’altitude!

Il fallait en choisir le modèle. Nous sommes allés en voir chez différents potiers; nous avons épluché Paroles de feu (édité par le Musée Palissy) pour enfin choisir le plan qui nous convenait: celui de Jean Girel, un four de type Sèvres, à flamme renversée, alimenté par deux alandiers extérieurs. Nous avons adapté son volume à nos besoins ( 2/3 de mètre cube en volume utile). Philippe, le mari de Mich, nous a établi un plan précis à la brique près. Chacun a abondé le compte commun du four pour payer les matériaux. Nous avons racheté un vieux four à bois de Marc et Arlette Simon (au Chambon sur Lignon), qu’il a fallu démonter et dont il a fallu trier et transporter les briques… Nous avons préparé les lieux, démonté l’ancien four, coulé une nouvelle dalle…


Un four à flamme renversée: la flamme qui part des alandiers fait le tour de l’enfournement pour ressortir par la cheminée.

La construction pouvait commencer. Je pensais qu’une quinzaine de jours plus tard, nous allumerions le premier feu. Le chantier a duré deux ans. Les briques achetées d’occasion étaient toutes de tailles différentes; on a fait et refait la toiture de l’abri… Certains y ont occupé leurs week-ends et une partie de leurs congés. Philippe qui nous avait accompagnés de son expertise nous a quittés à la fin du chantier.


On enfourne aujourd’hui sur des plaques fines (1450°). La flamme qui arrive par les deux murettes qu’on distingue de chaque côté, envahit le four, redescend par l’espace central, puis par un canal central situé sous l’enfournement avant de ressortir par la cheminée.

Nous avons fait rentrer du bois (des gros rouleaux de scierie) que nous avons recoupés. Nous en avons abrité une partie. Nous pouvions envisager de cuire. Le matériel d’enfournement que nous avions acheté avec les briques avait déjà beaucoup vécu: de vieilles plaques Norton, bien voilées et assez fendues.Mais on ferait avec. Plus tard, on s’offrirait (d’occasion aussi, mais en parfait état) de belles plaques minces, plus légères et non voilées (Christal, 1450°).


La porte d’entrée est presque fermée. On distingue les deux regards du bas et du haut.

Après un premier enfournement, nous allions pouvoir allumer ce feu. Les volontaires du petit matin (qui ont pour habitude de dormir sur place au Labouret) ont profité du silence matinal et du réveil des oiseaux. L’allumage a été un peu délicat. Le feu et l’enfournement étaient encore un humides. A la mi-journée, certains s’inquiétaient. la montre 1100° du bas ne tombait pas.

On commence à charger le bois par les ouvertures du bas

puis par celles du haut.

– Il faudrait moins réduire. -Tu crois pas qu’on devrait débraiser. -Mais non, au contraire, il faut moins charger et ouvrir en bas pour brûler les cendres qui s’accumulent jusqu’au niveau de l’entrée des flammes dans le four. – On aurait besoin d’un pyromètre: on ne sait pas si la température monte ou descend. – Inutile, il ne servirait qu’à alimenter le stress… Dans ces cas-là, chacun donne son avis… Au coucher du soleil, il y a toujours un épisode d’amélioration du tirage. les montres ont commencé de tomber. La cuisson avait duré plus longtemps que ce qui était écrit sur le livre. Toute l’équipe était soulagée. Si ma mémoire ne me trahit pas, au défournement, les résultats furent très satisfaisants.



Des retrouvailles joyeuses. Depuis une douzaine d’année, nous cuisons entre deux et quatre fois par an. Chaque fois, c’est une journée d’enfournement, une journée de cuisson et, un peu plus tard, une journée de défournement et de remise en ordre. Trois jours de travail et de fête!


C’est 1€50 le kilo! Au défournement , on pèse les pièces cuites et la trésorière (Françoise) encaisse la somme due. Il faut bien payer les charges: assurance, bois, matériel et matériaux indispensables…


En dehors des cuissons, on a plaisir à se retrouver pour couper du bois, pour nettoyer les abords… pour réunir l’assemblée générale de l’association, pour réveillonner ensemble, pour partager des sorties… Nous avons aussi initié des manifestations, des expositions qui nous permettent de présenter nos travaux. Autant d’occasions de se retrouver, de prendre des nouvelles, de discuter de la marche du monde, de manger et de boire ensemble, bref de vivre…


Mich, lors d’un de ses derniers défournements.

Nous avons connu des épreuves: les décès de Mich (après celui de son mari Philippe), qui était l’âme de ce groupe, Annie, une des plus fidèles du Labouret depuis les années 70 et Françoise, notre trésorière. Mais de nouveaux amis sont venus rejoindre l’association. Et surtout, les enfants (et petits enfants) de Mich continuent de nous héberger et de nous supporter. Ils ont même mis à notre disposition l’atelier, son matériel et son four à gaz. la vie du Four à bois du Labouret continue…

A la mémoire de Mich et de Philippe, d’Annie et de Françoise.

Publicité

Cuire au bois.

Une expérience céramique multimillenaire. Le rêve de beaucoup de potiers? Il me semble qu’on assiste à un regain d’intérêt pour ce type de cuisson depuis quelques années.

Ma rencontre avec la cuisson au bois eut lieu chez Norbert Pierlot, à Ratilly, au cours d’un stage, en juillet 1970. J’avais réussi à glisser une pièce dans le four.  Je suis resté là jusqu’à ce que tombe la dernière montre, cône 9. Dans les années qui ont suivi, ce feu ne m’a plus quitté. Je savais qu’un jour, je cuirais au bois.



L’attente a duré une douzaine d’années. En 1982, J’ai pu installer un atelier, plutôt rustique. J’ai lu et relu B. Leach (Le livre du Potier) et D. Rhodes (Les Fours). J’ai opté pour un four chaînette, l’un des plus simples à construire. J’ai dû l’abandonner quatre ans plus tard; mais par la suite, j’ai participé à la construction de deux autres fours « hautes températures » chez Mich Eschenbrenner. J’y reviendrai dans un prochain billet: le four à bois du Labouret.



OLYMPUS DIGITAL CAMERA

bol, émail blanc magnésien avec réserve


Un geste multimillénaire. Faire du feu! L’enfant réclame des allumettes pour allumer le papier qu’il a placé sous les brindilles et le bois disposé au dessus. Les feux de l’enfance et de l’adolescence. Le feu qui réchauffe, le feu qui éclaire, le feu qui cuit… mais qui peut aussi embraser et détruire. Comme l’écrit Bachelard: il brille au paradis, il brûle en enfer. Pour le potier, il y a eu la terre et l’eau. Le feu est la dernière étape, celle qui va révéler son travail, le magnifier comme l’annihiler.



Cuire au bois, c’est participer physiquement à la cuisson: préparer le bois, le ranger, l’enfourner. C’est un rapport direct avec le feu, les flammes, la fumée. Imaginez les cuiseurs des grands fours tunnels orientaux, plusieurs jour devant le brasier. Dans l’alandier, le feu est plutôt violent. A l’intérieur du four, telle qu’on peut la voir par les regards, la flamme enveloppe les pots avec douceur. Elle transforme d’abord le tesson puis l’émail. La flamme de rouge cerise passe à l’orange puis au jaune. Les émaux se mettent à briller. La fin de la cuisson approche. On ouvre les regards de plus en plus souvent pour surveiller les montres…



Un four à bois: un espace de silence, mais aussi un lieu de rencontre et de convivialité. Il m’est arrivé de cuire seul, à deux ou en groupe. Dans tous les cas, il est des longs moments de silence. Le matin, à l’aube, après l’allumage, l’activité est réduite. C’est un temps pour la nature environnante: la lumière, le vent, parfois la pluie, les bruits, les oiseaux … Ensuite, les mains s’occupent et c’est le temps de la pensée et du rêve. Les soucis de la vie, les amours, les projets… Mais le bruit sourd du feu, cette vie à l’intérieur, invisible et si proche, nous ramènent à nos pots. Tout est encore possible. On craint parfois le pire mais on imagine aussi le meilleur et, pourquoi pas, quelques petits miracles que ce diable de feu … On rêve…


OLYMPUS DIGITAL CAMERA

Yunomi, cuit au bois, voile de cendre sur tenmoku.


Evidemment c’est aussi un lieu de rencontre et de partage. Il est assez rare que l’on cuise seul. Le four agit comme un aimant. On y retrouve les amis, les anciens et les nouveaux. On se relaie à l’enfournement. On mange et on boit ce que chacun a apporté, – toujours trop, on va en garder pour ce soir -. On diverge parfois sur les mesures à prendre: réduire plus ou moins longtemps, débraiser ou ralentir la cadence, ouvrir ou fermer les arrivées d’air… On reprend les notes des fours précédents. On surveille l’indicateur de températures. On ouvre tour à tour le regard du haut, celui du bas, pour voir où en sont les montres. Et pourquoi la 1260 du bas ne bouge pas? Mais le feu a son rythme propre dont on ne maîtrise pas tous les paramètres, en particulier la météo. Si le four a déjà fait ses preuves, la dernière montre finit toujours par tomber. On a préparé la mixture (coulis, cendre…). On bouche toutes les entrées d’air et on le laisse se reposer et refroidir.

De retour à la maison: Comme tu sens la fumée! Mets tout ça dans la machine. Le feu, lui, il brûle encore à l’intérieur. Dans quelques jours, on ouvrira la boite aux trésors…

Des fours à bois, il en existe une grande diversité. Dans leur fonction d’abord: pour de la terre vernissée, du raku, ou de la haute température? Dans leur construction ensuite: tirage direct, flamme renversée, four tunnel… Dans certains, les poteries sont à l’abri de la flamme, dans d’autres, au contraire, on en recherche le contact. Il ne s’agissait pas ici d’établir une fiche technique. Vous trouverez des indications dans les livres déjà cités. Je voudrais juste ajouter deux ouvrages faciles à lire: La poterie de Daniel de Montmollin (en particulier le chapitre 5: Le feu) et surtout Paroles de feu. Les fours à bois en France. Dans ce dernier, on trouve les descriptions et les plans précis de divers fours à bois construits par des potiers français.