Chawans, bols de thé, bols…

L’intérêt pour la céramique d’extrême-orient ne date pas d’aujourd’hui, mais depuis quelque temps, le mot chawan (cha:thé, wan:bol) est devenu très à la mode, peut-être en lien avec notre curiosité pour la cérémonie du thé.  Il ne désigne ni plus ni moins qu’un bol. L’objet qui donne sa forme au thé! Uniquement destiné au thé ? Je laisserai les spécialistes trancher. Plusieurs traditions se mêlent dans le chawan: chinoise, coréenne, japonaise… avec du vocabulaire, des influences, des techniques de façonnage, d’émaillage et de cuisson…  qui s’influencent les uns les autres. L’intérêt pour cette céramique extrême-orientale vient de culminer avec la vente d’un bol de la période Ming (XVème siècle) à plus de 32 millions de dollars (soit plus de 26 millions d’euros !) chez Sotheby’s.


bol cuit au bois, émail tenmoku


Je pense que cela va de pair avec le développement d’une nouvelle consommation du thé, privilégiant la qualité. La consommation du thé nécessite un apprentissage, une culture… comme en témoigne le développement des commerces spécialisés. La Maison des Trois Thés (place Monge à Paris) en est le plus prestigieux exemple, avec ses grands crus et plus de mille références de thés.


bol cuit au bois, émail magnésien


Mais ce qui m’émeut dans un bol va au-delà de mon admiration pour ces poteries extrême-orientales. Il y a quelques années, j’ai eu entre les mains un catalogue d’exposition qui présentait des objets de la période pré-pharaonique d’une région qui se situerait  dans l’actuel Soudan. Parmi les photographies: celle d’un bol, très beau, en terre cuite brute, tourné probablement sur un tour à pied très rudimentaire… il y a plus de 5000 ans. Pourquoi cette émotion? Evidemment, à cause de la beauté simple et  presque austère de l’objet. Mais aussi parce que j’ai imaginé le potier de l’époque fabriquant le bol: la même concentration dans les gestes, le même contact avec la terre, le même plaisir du feu…  qu’en ce qui me concerne. Mais cet homme, au delà de l’espace et des millénaires, c’était donc mon frère!


bol avec réserve


Le bol est donc un objet universel, dans le temps et dans l’espace. La légende raconte que le premier bol aurait été moulé sur un sein de Vénus. Pas étonnant qu’il y ait une sensualité particulière dans cet objet céramique. Un côté aussi maternel. Objet universel, parce que dans toutes les civilisations d’hier et d’aujourd’hui, il occupe une place dans le quotidien alimentaire et parfois dans le culte du sacré. Quel est le jour où nous n’utilisons pas un bol? Il peut prendre tant de formes: bol d’hiver qui se ferme, bol d’été qui s’ouvre. Même dans notre langage familier le bol a pris ses aises: un bol d’air, avoir du bol, ras le bol…


bol, émail shino sur roche


Enfin, le bol est un objet apaisant. Apaisant à modeler ou à tourner et à émailler. Je me souviens d’une phrase de Jean Linard, dans les années 70, lors d’une visite chez lui: « Tourner des bols, ça me repose. » Ce n’est que plusieurs années plus tard que j’ai compris sa réflexion. Apaisant aussi lorsqu’on s’en sert, qu’on le tient dans les mains, qu’on le porte aux lèvres… Un objet thérapeutique? Pourquoi pas. Un objet de convivialité. Certainement. On n’a pas fini de fabriquer et d’utiliser des bols. Ça me rassure. J’adore faire des bols et les sortir du four.


bol en porcelaine, émail aux cendres de résineux