Nos poteries nous racontent-elles ?

A l’image  des œuvres des peintres, écrivains et autres artistes , nos poteries parlent-elles de nous, individuellement et collectivement?  « Madame Bovary, c’est moi! » Peut-on en dire autant d’une poterie ? Certainement pour les oeuvres « artistiques » comme les modelages dans lesquelles le créateur s’exprime.  Mais pour une poterie « utilitaire »?


Musuchasi (réserve des eaux usées lors de la cérémonie du thé)


Un des plus beaux compliments qu’on m’ait fait, c’est celui d’une dame sur un marché : «Vos poteries, on les reconnaît tout de suite ». Faut-il en déduire qu’elles me ressemblent ou qu’elles racontent quelques chose de moi? C’est évident pour tous les grands potiers: on reconnaît immédiatement une pièce de Robert Deblander, de Pierre Bayle, de frère Daniel de Montmolin, de Julia, de Mohy, de Norbert Pierlot, de René Ben Lisa… pour ne citer que la génération des années 1960-1990… Lorsque l’on a connu ces potiers, il est évident que leurs pièces racontent un peu leurs auteurs. Je pense même que pour certains, elles en disent plus que leurs écrits.


bol cuit en atmosphère oxydante, émail « gouttes d’huile », avec réserve


Peut-être, dans un avenir plus ou moins lointain, causeront-elles réellement. Georges Charpak, prix Nobel de physique, émit un jour une idée. Il imagina que dans l’atelier d’un potier grec de l’antiquité, durant le façonnage d’un vase sur le tour, les sons, les bruits et surtout les paroles avaient pu s’enregistrer sur les sillons laissés par les doigts de l’artisan. Une machine future pourrait alors restituer les voix et les sons antiques comme le fait aujourd’hui un lecteur de CD.


Bol, émail à la cendre sur roche (carrière du Maconnais)


En attendant, je pense qu’en regardant, en touchant, en utilisant une pièce artisanale d’un potier, on perçoit quelque chose de sa personne et peut-être tutoie-t-on un peu son « âme ». Je trouve mes pièces souvent un peu « raides », sans fantaisie. Une dame, devant mon stand, dans un marché du sud de la France: « C’est beau mais c’est triste ». De quoi réfléchir sur soi-même! Certainement que nos choix de formes et d’émaux révèlent un peu de nous-mêmes.


bol cuit au bois, émail blanc magnésien, cuisson au bois


Sans doute, nos poteries nous trahissent-elles. Peuvent-elles mentir? Nous pouvons, devant autrui, utiliser des artifices, tenter de cacher nos médiocrités, essayer de tricher… Mais ce que nous avons façonné?


bol, émail de cendre sur roche


Nos poteries n’ont pas la parole; mais sont-elles pour autant muettes? Que reflètent-elles? Certainement un peu de l’humain que nous sommes. Impossible de ne pas penser à l’un des plus beaux vers de Racine (Néron à Junie dans Britannicus): « Vous n’aurez point pour moi de langages secrets. /J’entendrai des regards que vous croirez muets« . Sont-elles un peu notre regard? J’espère au moins que nos poteries font naître des émotions. « Objets inanimés, avez-vous donc une âme…« . C’est pour cela que, parfois, leurs utilisateurs s’y attachent. Belle récompense pour le potier.


Bol, émail tenmoku, cuisson au bois.


Dépassons les personnes. Les poteries expriment aussi un peu de la civilisation et de la génération qui les fabriquent?  La lumière des poteries Song, le raffinement, parfois exagéré dans le décor, des poteries Ming, l’austérité des bols coréens et japonais… En observant les poteries utilitaires et cultuelles amérindiennes, c’est un nouveau monde que l’on découvre dans les céramiques anthropomorphiques de ces anciennes civilisations: aztèque, maya, olmèque, zapotèque, nazca, wari, cupisnique, mochica… Une façon de côtoyer et de toucher nos frères du passé.


pichet, émail blanc sur roche


Chez nous, après le grès « sauvage » de la génération 68, que signifie cet engouement pour le blanc de la  porcelaine, de la part de la « génération Apple » comme l’appelle Clémentine Dupré? J’ai de la peine à esquisser une réponse. La formation assez formatée des écoles d’art appliqué? Certainement, mais insuffisant.


assiettes blanches, émail blanc magnésien.


Il est assez rare que nous soyons satisfaits de nos pièces à la sortie du four. Un peu comme nous le sommes de nous-mêmes. Si nos céramiques disent quelque chose de nous, c’est souvent malgré nous. Existerait-il un Freud ou un Lacan de la céramique? Qu’il se fasse connaître! Nous nous étendrons sur son divan d’argile.

2 réflexions sur “Nos poteries nous racontent-elles ?

  1. Qu’est-ce que j’aime te lire ! Tu sais, j’avais bien décidé de t’appeler pendant le confinement, pour prendre des nouvelles, papoter un peu … et puis voila, il est passé et je suis déja engluée dans les rouages de la reprise …

    je te fais plein de bises que tu partages avec Monique aude

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